Le Président DJANGOUN : les rebuts pour penser la dignité humaine.
Par Jeff Eliot Josaphat Eric Atchado
Une république en marge
Au cœur de Parakou, au nord du Bénin, une république singulière a vu le jour : la République Djangoise. Sans territoire fixe ni institutions officielles, elle est gouvernée par un artiste de 29 ans, au charisme flamboyant et à la vision affûtée : le Président DJANGOUN, Roberto Zinli à l’état civil. Autodidacte, il n’est passé par aucune école d’art, mais par les rues, les marchés, les décharges. Là où certains voient des déchets, il voit de la matière à penser. Là où le monde jette, lui façonne.
Un art de la réinterprétation, une esthétique de la résistance
Depuis plus de dix ans, le Président DJANGOUN développe une pratique artistique hybride, où couture, assemblage, performance, sculpture et design se croisent sans hiérarchie. Il travaille avec ce qu’il appelle les « matériaux rebelles » : boîtes de conserve, capsules, verres brisés, fils de fer, chiffons, poissons séchés, tomates… Rien n’échappe à sa vision de la récupération.
Chaque costume qu’il crée devient une seconde peau critique : une armure poétique, une protestation silencieuse, un drapeau de dignité cousu à la main. Ces tenues, souvent portées lors de défilés performatifs, donnent au rebut une grandeur théâtrale. Le corps habité devient message vivant.
« Je transforme les déchets en dignité, et l’art en outil de résistance. »
L’homme tomate : manifeste organique

Parmi ses créations les plus saisissantes figure un costume composé exclusivement de tomates fraîches, photographié dans une mise en scène forestière. L’œuvre, intitulée L’homme tomate, est à la fois absurde, joyeuse et dérangeante. Le corps du Président DJANGOUN, vêtu d’un habit fait de dizaines de tomates rouges, est complété par une paire de lunettes faites de rondelles de tomate, comme pour forcer le regard à changer de perspective.
La composition symétrique, l’éclat du rouge, la texture vivante et périssable de la tomate créent une esthétique à mi-chemin entre la sculpture et le vêtement. Le contraste avec le fond verdoyant de la forêt intensifie la dimension écologique et politique de l’œuvre.
Sous cette apparente légèreté se cache une critique acerbe de la société de consommation, du gaspillage alimentaire et de la fragilité humaine. Pourquoi couvrir un homme de tomates ? Parce qu’elles sont belles, nourrissent, pourrissent , comme nos habitudes. L’homme tomate est une œuvre où le corps devient manifeste, et la matière organique devient support de vérité.
Une pédagogie populaire
Le Président DJANGOUN ne se limite pas à la création individuelle. Il mène aussi des ateliers avec les jeunes, dans les quartiers populaires ou les écoles, pour transmettre son savoir-faire et sa vision. Il milite pour un art accessible, autonome, et engagé. Son rêve ? Créer un centre de transformation artistique des déchets en Afrique, où création rimerait avec insertion sociale et transmission.
« Je veux montrer que l’art peut être un outil de changement et une alternative économique. »
L’art hors des sentiers battus
Le travail du Président DJANGOUN s’inscrit dans une esthétique de la réappropriation, dans la lignée d’artistes comme Nick Cave, Cyrus Kabiru , Michel Ekeba ou encore Prince Toffa, qui transforment l’ordinaire, le rebut, le recyclé en puissants symboles visuels. Il interroge les frontières entre art contemporain, art populaire, artisanat, costume, et rituel urbain.
Mais sa démarche soulève aussi des tensions : faut-il préserver l’éphémère ou le muséaliser ? Peut-on institutionnaliser un art né de la rue sans en perdre l’énergie critique ? Son œuvre résiste à la classification, et c’est précisément là qu’elle prend toute sa force.
Un artiste debout
Le Président DJANGOUN ne crée pas seulement des œuvres : il construit une vision, une alternative, un espace où la création est une réponse au mépris, au rejet et à l’inertie. Dans chaque costume, chaque assemblage, il nous rappelle que l’art peut naître de l’invisible, que la beauté est souvent là où l’on ne regarde pas, et que l’artiste peut être à la fois bâtisseur, éducateur et résistant.
Son message, clair et puissant, habille notre conscience :
La dignité n’est pas un luxe. L’art, lui, est une urgence.
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